Josef Ofer
Vous trouverez en permanence chez Dock Sud de fantastiques papiers de Josef Ofer
Ci dessous quelques textes bien écrits et bien signés.
Pour ma part, je me contente de considérer cet artiste comme la vraie pépite de la galerie.
Le Retour de Josef Ofer (Connaissance des Arts)
Après dix-sept ans d'absence, l'artiste Josef Ofer a fait son retour sur la scène européenne. Les visiteurs de Drawing Now, le salon du dessin contemporain qui s'est déroulé au Carrousel du Louvre fin mars, ont découvert sur le stand de la galerie Dukan & Hourdequin (Marseille) un ensemble de dessins de cet artiste né en 1965 à Tel Aviv.
Ses mines de plomb évoquent l’art d’illustres prédécesseurs : Daumier pour la critique sociale cinglante, Goya pour les grimaces des personnages, Piranèse pour les architectures délirantes, Félicien Rops pour les nus féminins provocateurs. Intemporels mais d’actualité, ces dessins ont immédiatement trouvé leur public. Lors du salon, 62 feuilles ont été vendues, dont 40 à un musée privé suisse qui souhaite garder l’anonymat.
Celine Lefranc
La Maison Ofer
Il y a du Goya chez Ofer. Mais me croira-t-on si je dis : cette parenté lui est assez douloureuse ? Cette douleur, elle s'annonce alors qu'il murmure : "La société, les hommes, je ne les aime pas", d'une voix douce - nous étions à la terrasse d'un café parisien. Le maître espagnol, lui, n'aimait guère les moeurs de son temps. Il y distinguait trop de folie, d'hypocrisie, de mascarades ; né dans un village simple, il souffrait de voir la vie livrée à des barbeaux vaniteux, aux superstitions, à l'Inquisition. Sourd mais "voyant". Ce monde l'excède : il le dit dans ses estampes, ses noirs, intitulés "Caprices" et ceux-ci secouent notre torpeur. En ce sens, nous partageons le point de vue de son fidèle ami Cean Bermudez lorsqu'il note que Goya "était persuadé que la censure des erreurs et des vices humains pouvait être également confiée à la peinture". C'est l'époque des derniers ressacs du siècle des lumières avant la montée de nouveaux cauchemars qui rendront les choses plus noires. C'est ce noir qu'Ofer visite, un noir comme sorti des estampes de Goya, et, alors, sa parenté au maître espagnol émerge.
Il avait pourtant commencé avec urbanité sa vie d'artiste. Etre un des plus jeunes élèves que l'Ecole des Beaux-arts de Paris ait jamais compté - il y entre à dix-sept ans - ça pose son homme. Mais, signe d'une prédestination, ce sont les animaux qui le fascinent, avec suffisamment de passion pour les peindre dans la splendeur de leur pelage, combattant, serpents bleus contre tigres jaunes, et, ensuite, tableaux faits, de les exposer avec succès en Europe. Quand soudain, tel un animal sauvage et las, le voilà qui disparaît.
Ne cherchez pas l'endroit sur les cartes : il s'installe dans un "trou" perdu, de 80 âmes, sur les bords du Rio Négro, en Amazonie, à Bacabal. On y parle le portugais et on y vit comme on peut ; d'après Ofer, comme on veut. Comme il voulait, sans patrimoine à protéger, sans maison à fermer à clé, sans rapports forcés de bon voisinage. C'est alors que ses "caprices" sortent de son esprit". Il dit : "Je suis convaincu que tous ces dessins ont travaillé dans ma tête en Amazonie".
De novembre 2008 date le premier ; trois cents autres vont suivre. Il livre ce qu'il a "vu", sans rien dissimuler. D'où sortent ces squelettes truculents, effrontés qui dansent avec des femmes nues et potelées ? Ces funambules qui portent sur leurs têtes leurs malles, ou, à leurs cous, leurs trousseaux de clés ? Et ces crânes ouverts sur des précipices bordés de rayonnages de livres ? Et ces horloges qui ont pour aiguilles d'énormes ciseaux ? On dira de son esprit, certes, et ce sont comme des fantasmes. Mais si c'était autre chose, quelque chose de nous-mêmes, de notre façon d'être et de vivre ; et qu'au fond, Ofer aurait su saisir nos moeurs à nous, nos désordres à nous, notre propre insensibilité - c'est ce que voudrait dire ses squelettes. Et si ses femmes rient, on les sent mal dans leur peau, excentriques, excédées. Seuls surnagent des lions austères, des chats. De ces derniers, Ofer vante la noblesse. Ce coeur brûlé aime à dormir avec eux. Il en aurait aujourd'hui une centaine.
Alors, voudrait-il nous faire réfléchir sur nous-mêmes ? Il dit : "Les dessins, c'est la seule manière de développer un langage". Il aurait - du moins momentanément - abandonné la couleur pour rendre plus clair son langage. Il dit : "La raison dans certains cas est impuissante". Goya, lui, avait envisagé de mettre en tête de sa série des Caprices la planche n°43 : "Le sommeil de la raison produit des monstres". Sommes-nous des monstres ?
Nous ne répondrons pas, nous n'en avons pas le droit. Ofer, l'a-t-il ? Tout ce que je sais, c'est qu'il est né à Tel Aviv, en 1965, et qu'il a vécu ou personne ne va.
Jean-Pierre Barou
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